Lulu a écrit :Tony a écrit :
Oui oui, mais je ne crois pas qu'un site d'évaluation correspond à cette "culture du déballage". Ce n'est pas supposé être "un déballage public", mais seulement une discussion et une évaluation d'un service, comme il en existe pour n'importe quel service.
D'accord pour des établissements, mais pas pour des personnes. Ca ne me gêne pas qu'on dise "l'hôpital machin est plus performant que l'hôpital truc" ou lycée, ou barreau, que sais-je... Mais qu'on écrive "le Dr X est ceci ou cela" (ou le prof, l'avocat, etc...) c'est une atteinte personnelle. C'est toi le juriste, mais je suis sûre qu'il y a des lois françaises contre ça.
Il faut d'abord définir de quoi on parle. Lorsque tu parles d'"atteinte personnelle", est-ce que tu penses:
- à une attaque personnelle ? Une "attaque personnelle" c'est, dans le cadre d'une discussion, décrédibiliser l'interlocuteur au lieu de critiquer ses arguments. Ce n'est donc pas la question qui nous préoccupe, puisque la personne critiquée ou évaluée n'est a priori pas dans la discussion.
- à une "imputation personnelle" (dire quelque chose à propos de quelqu'un...) ? Il n'y a pas de règle de droit qui interdise ça a priori. Il y a ce qu'on appelle la "liberté d'expression", et qui permet, sauf exception, de raconter et de critiquer.
- à une "atteinte à la vie privée"? Oui, c'est interdit, bien qu'on ne sache pas toujours très bien ce que ça veut dire. Cela dit, en l'espèce il s'agit de vie professionnelle. Je ne sais pas si vie professionnelle fait partie de la vie privée. Je vérifierai.
En tous cas:
* il n'existe pas, comme tu sembles l'indiquer, de loi qui interdise spécifiquement d'imputer quelque chose à quelqu'un. Sinon les journaux fermeraient assez vite...
* Il y a le cas particulier des hôpitaux publics dont le personnel est dans une situation statutaire, qui ne leur permet pas de conserver l'anonymat.
* Quid, si on reste sur l’idée que tu soulèves, des professionnels qui exercent à titre libéral? (donc en-dehors de toute institution)
Lulu a écrit : Tony a écrit :Je persiste donc à penser que c'est surtout le corporatisme monopolistique à la française qui fait qu'il est difficile d'envisager une relation de consommateur à professionnel de la même façon pour les professions réglementées que pour les autres.
Pas seulement, même s'il est évident que ça va jouer très fort. Il y a aussi une réticence de la part des évaluateurs potentiels, pour qui il existe aun contrat moral (et souvent affectif) avec ces professionnels, une relation particulière qu'ils ne peuvent pas assimiler à de la consommation de services.
Le mot « consommation » (que je n’ai pas utilisé) est effectivement impropre à décrire la situation, car il implique de prendre comme objet d’observation le consommateur et rien que lui, en oubliant le partenaire. On peut même donner à ce mot un caractère péjoratif, puisque le consommateur est, d’un point de vue systémique, une boîte, dans lequel on met du « input », autrement dit, qu’on gave de « services ». Du coup, ça a même un petit côté vulgaire et répugnant, et accessoirement méprisant pour le partenaire qui n’apparaît nulle part. (Etait-ce un
homme de paille ? ) Le mot ne décrit pas la relation qu’il peut y avoir entre le consommateur et le professionnel, alors que c’est bien de cette relation qu’on parle.
Aucune relation ne peut être assimilée à de la « consommation de services ». Quant au contrat moral, il n’est pas possible qu’il n’y en ait pas. Toute relation humaine implique un contrat moral.
Ce qu’il faut voir, c’est qu’il n’y a jamais deux personnes qui ont la même façon de voir les choses, que ce soit parmi les professionnels ou parmi les consommateurs. Il peut même y avoir divergence de vue entre le professionnel est le client, d’autant plus que l’on reste dans l’implicite et dans le ressenti.
J’aimerais donc essayer d’appréhender le cas du client réticent à parler de « son » professionnel. Qu’est-ce qui, malgré le respect et l’affection qu’il pourrait avoir pour lui, lui interdirait d’évaluer ? Je tente quelques réponses (à compléter) :
* la crainte de contrarier l’envie du professionnel de rester discret ?
* la crainte de faire un mauvais jugement ?
* la crainte de représailles ?
* ... ?
Lulu a écrit : Tony a écrit :
Bien vu. J'ai pas pensé à faire l'inventaire des sites de ce genre. Malheureusement, c'est difficile à mettre en place en France. Un site français comme
http://www.note2be.coma par exemple de gros soucis en ce moment...
Je ne crois pas que ce soit malheureux, je crois que ça correspond à ce que sont les Français.
Est-ce que la deuxième proposition est supposée être le contrepied de la première ? La sociologie d’un pays est ce qu’elle est, mais ce n’est pas parce qu’une chose est ce qu’elle est que c’est une bonne chose. Prétendre le contraire revient à nier toute morale.
Je suis gêné aussi par le côté monobloc et statique que tu donnes aux français. D’une part, les gens pensent de diverses façons et d’autre part, leurs mœurs évoluent dans le temps.
Lulu a écrit : Il faudrait réfléchir à des "évaluations" qui prendraient en compte leur sensibilité particulière, au lieu d'essayer de leur coller des méthodes anglo-saxones qui ne leur ressemblent pas.
J’imagine fort bien que labelliser une méthode quelconque d’« anglo-saxonne » est de nature à en énerver certains, d’où il peut être commode de l’utiliser, mais je ne vois pas ce que ça peut vouloir dire substantiellement qu’une méthode est « anglo-saxonne ».
Et lorsque tu dis que ça « ne leur ressemble pas », que veux-tu dire ? Que ça ne leur plairait pas ?
Lulu a écrit : Je ne nie pas l'intérêt de savoir où l'on met les pieds quand on confie sa santé, son éducation, ses intérêts à quelqu'un, mais je ne crois pas que le forum internet soit la bonne méthode, dans ce pays.
Juste une petite précision : la réflexion que tu fais là laisse penser que tu envisages la chose de manière constructiviste, c’est-à-dire que tu imagines un système qui est supposé répondre au problème de façon universelle, complète et théoriquement parfaite.
Il ne s’agit pas de créer une « autorité de régulation » ou « de notation ». Il ne s’agit pas non plus de dire que le forum se suffit à lui tout seul pour répondre à la problématique tu soulèves.
J’ai l’impression que tu parles de politiques (cf . le mot « méthode » que tu utilises) alors qu’il ne s’agit dans mon esprit que d’une initiative privée dans un cadre limité.
Lulu a écrit :Sans compter les ravages psychologiques que ça peut causer sur les personnes publiquement "évaluées", tu y as songé à ça?
J’ai, de manière générale conscience que mes actions ont des conséquences sur autrui, tout comme les actions d’autrui ont des conséquences sur moi. En particulier, je sais que ce que je fais peut éventuellement avoir pour conséquence d’émouvoir autrui dans un sens ou dans un autre.
Je conçois donc assez bien que ça puisse faire des « ravages psychologiques » comme tu dis, mais ça dépend aussi de la disposition d’esprit de départ de la personne concernée et de sa bonne volonté. Je me reconnais dans cette situation de quelqu’un d’a priori sensible mais qui s’est mis à réfléchir. La question est effectivement culturelle : il n’est effectivement pas interdit de penser que les membres de telle ou telle profession ne seraient plus ou moins massivement pas capables de gérer intelligemment de des situations où ils subissent des critiques non maîtrisées. Mais il ne leur est pas interdit d’évoluer, et l’apparition de sites d’évaluation pourrait les y inciter.
Je suis cependant conscient aussi que les leaders d’opinion internes à ces professions, au lieu de permettre une telle évolution, auront probablement tendance à cautionner le statu quo, afin d'utiliser l’énervement des uns et des autres dans un but politique et/ou corporatiste.
Pour autant, posons clairement la question éthique que tu soulèves implicitement : qui doit assumer la charge du risque psychologique ? Celui qui s’exprime en se censurant ou celui qui reçoit en s’adaptant ou en se soignant ? J’imagine qu’on puisse hésiter dans des relations particulières (amour ? famille ?), mais dans la société civile en général, le sensibilisme ne me paraît rien apporter de bien.